Henri Farman, gentleman avionneur

On dirait deux gamins folâtres qui s’amusent sur un tandem en décrivant des cercles sur une plaine dénudée. Et pourtant, leur jeu n’est qu’un dérivatif, une récréation au milieu d’une intense période d’activité professionnelle. S’ils possèdent encore la fougue de la jeunesse, leur détermination les mène déjà vers un destin exceptionnel. Car ces deux gaillards chapeautés de casquette et béret vont devenir les héros d’une avancée technologique majeure pour le futur de l’humanité. Au même titre que l’invention de la photo ou de la radioactivité.

Aux commandes du vélocipède, Henry Farman. Il s’est fait connaître par une prouesse aéronautique majeure, bien mieux que les sauts de puce de Santos Dumont. Le premier vol circulaire sur un kilomètre à Issy-les-Moulineaux. Derrière lui sur le tandem, Gabriel Voisin, génial concepteur d’aéronef. Et le duo cycliste va mener à bien l’improbable. Lancer un avion fait de bois, de toiles et de tendeurs vers le ciel inconnu. Non plus sur une aire d’évolution bien délimitée, mais dans un environnement naturel avec ses pièges, les arbres, les villages, les routes. Et des atterrissages casse-cou…

Pour réussir cette folle ambition, Farman choisit de s’installer en un lieu désert, une lande seulement peuplée de lapins de garenne et de pins rabougris. Nous sommes en bordure du camp de Châlons (de Mourmelon aujourd’hui), sur la commune de Louvercy (Livry-Louvercy aujourd’hui). Au volant de l’appareil de Voisin, Farman qui a fait construire un premier hangar, multiplie les essais au-dessus de la plaine champenoise. Et très vite les records tombent qui mettent à mal les exploits des frères Wright notamment.
Bien vite, son allure flegmatique de dandy britannique devient familière aux Mourmelonnais. En pantalon de golf et grosse casquette, Farman quitte chaque matin à vélo l’hôtel où sont regroupés les aviateurs et se rend au lieu-dit appelé “les trois hangars”, les siens. En dehors des essais et des travaux mécaniques, il adore surveiller les plants de groseilliers qu’il a installés le long des bâtiments.

Le 30 octobre 1908, c’est le grand départ pour un assaut aérien aux péripéties inconnues. A 15h30, décolle du terrain de Louvercy-Aviation (et non de Bouy comme l’histoire l’a retenu). Une voiture occupée par Maurice Herbster, le fidèle mécano, Robert Guérin, le photographe local qui a immortalisé sur la pellicule les débuts de l’aviation mondiale et M. Passéga, suit l’appareil. Le court voyage de 27 km pour une durée de 20 mn se déroule sans incident majeur. Et l’atterrissage a lieu aux portes de Reims, contre le mur d’enceinte du parc Pommery. L’appareil est vite démonté alors que les curieux affluent, canalisés par un piquet d’infanterie. Les éléments sont vite embarqués dans un camion de la maison de champagne pour retour au bercail.

Le soir même, Farman télégraphie à son père ces mots peu loquaces mais annonciateurs du début d’une légende : “Ai accompli parcours Châlons-Reims sans incident. Signé : Henry”.

“Celui qui donna des ailes au monde”

AVEC OU SANS I GREC. Henry Farman dont le prénom a été francisé lors de sa naturalisation en 1937, est né le 26 mai 1874 à Paris où son père, sujet britannique, est installé comme correspondant de guerre.

CASSE-COU. Poussé par sa mère, artiste, il se passionne pour la peinture. Puis se frotte à des activités plus rugueuses. Le vélo avec lequel il devient champion de France en 1892. L’automobile ensuite avec un record des 100 km dépassé au circuit d’Auvergne où il est victime d’une sortie de route avec une incroyable réception dans un arbre.

A ISSY. Son appétit insatiable pour les sports mécaniques se tourne vers l’aviation balbutiante. Le jeune dandy se fait connaître des initiés par le premier vol d’un km en circuit fermé à Issy-les-Moulineaux, le 13 janvier 1908 à bord d’un appareil Voisin.

PREMIERS VOYAGEURS. Le 21 mars 1908, Delagrange qui vient de franchir 1500 m en circuit à bord d’un Voisin, prend Farman à bord du biplan et tous deux rentrent au hangar par petits bonds. C’est la première fois qu’un aéroplane enlève dans l’air deux passagers.

DANS LE DESERT. Henry Farman décide de voir plus grand et s’installe à l’extrémité du territoire de Louvercy où son appétit pour les grands espaces peut s’exprimer pleinement dans la solitude de la Champagne crayeuse.

PROUESSE. Le 30 octobre, premier vol appelé “de ville à ville” de Louvercy-Aviation à Reims (lire par ailleurs) en profitant d’une invention majeure, des ailerons équilibreurs.

DIVORCE. En janvier 1909, le duo gagnant se sépare. Voisin vend l’appareil utilisé par Farman à l’Anglais Moore Brabazon qui vient de s’installer avec bien d’autres à Louvercy-Aviation. Aussitôt Farman réagit en construisant en deux mois un nouvel avion, Farman I.

ECOLE. Farman ouvre une école de pilotage qui reçoit de futurs as comme Roger Sommer ou Marie Marvingt. Il édifie son troisième hangar qui se joint à tous ceux construits à proximité de ce qui deviendra une véritable ruche de concepteurs et utilisateurs d’aéroplanes, accueillant jusqu’à 300 employés.

LA GRANDE SEMAINE. Sa renommée explose en août 1909 lors de la grande semaine de Champagne à Bétheny, le premier meeting jamais organisé au monde. Il bat devant 100.000 curieux les records du monde de distance (80 km) et de durée (3h15). C’est l’aboutissement d’années de labeur dans la solitude de la “steppe” louvercienne.

COMMANDE. Décembre 1909, l’armée commande son premier aéroplane à Farman. C’est la fin de la folie joyeuse des compétitions. Place à l’utilisation militaire alors qu’approche le premier conflit mondial.

BILLANCOURT. En 1912, Henry et ses frères Maurice et Dick s’associent et installent leurs ateliers à Billancourt. Leurs modèles participent aux premiers raids de reconnaissance, aux bombardements et aux combats aériens.

PARIS-LONDRES. Le 8 février 1919, la société Farman inaugure la première liaison commerciale Paris-Londres avec 14 passagers payants. C’est une première mondiale. Une de plus!

AIR FRANCE. En 1936 nationalisation des industries aéronautiques avec la naissance d’Air France et la fin d’une merveilleuse aventure. Henri se remet à la peinture.

TROIS MONUMENTS. Le 17 juillet 1958, il meurt à Paris et est inhumé au cimetière de Passy où un monument dû au sculpteur Landowski rappelle son souvenir. Deux œuvres plutôt délaissées signent son exploit premier en Champagne : à l’entrée de Mourmelon en présence de l’aviateur à l’inauguration en juillet 1938 et là où il atterrit à Reims.

EPITAPHE. Et Marie-Christine Litton-Archambaut, la petite nièce d’Henri Farman de rappeler l’épitaphe inscrite sur la stèle funéraire : “Ici repose celui qui donna des ailes au monde”.

Farman à l’aéroport de Hong Kong

Charles Van den Born, né à Liège et naturalisé français en 1936, apprend à piloter un avion à l’école d’Henri Farman sur le site de Louvercy-Aviation. Il y obtient le brevet, le n°37 français. Il décide alors de se rendre en Asie pour y effectuer des démonstrations aériennes avec le Farman IV qu’il a acheté à son instructeur. Le 18 mars 1911 il décolle sur l’île de Hong Kong devant les quelques spectateurs qui avaient patienté après la fuite de la foule chassée par un vent violent.Il venait d’ouvrir la voie de l’aventure aéronautique en Extrème Orient.
86 ans plus tard, en 1997, l’année de la rétrocession de Hong Kong à la Chine, des passionnés décident de commémorer ce premier vol historique alors que s’achève la construction du nouvel aéroport. Une réplique en tous points exacte du Farman IV est créé et atterrit sur la piste de Chek Lap Kok, prélude au lancement du trafic aérien de cette plate-forme importante. Cette réplique est conservée et est suspendue depuis au plafond du terminal I. Un extraordinaire voyage dans le temps depuis la construction avec les moyens du bord de la cage à poules du Farman IV sur le territoire de Louvercy, commune de Livry-Louvercy.